Chapitre 26

48 0 0

Le singular, croiseur de guerre, filait dans la nuit ocre de Guebourah. Dans la salle stratégique, Michaël veillait, debout sous le dôme d’un tableau de bord bardé de runes. Autour d’el, une centaine d’opérateurs, puissances, vertus, chérubins-techniciens, manipulaient les hologrammes de lumière, cartographiant à chaque instant la trajectoire du convoi. L’air vibrait d’ordres murmurés et de notes de cristal. Sous le sol en verre, d’immenses générateurs faisaient pulser la salle de lumière blanche.

Les puissances armées, massées dans les corridors, récitaient des prières de combat, le casque sous le bras, la main sur les cœurs. Plus bas, dans les hangars, d’autres finissaient d’inspecter leur équipement, armures rouges, lances-éclairs, bannières oriflammes. Tous attendaient la traversée : le passage, toujours périlleux, vers Ha Briah.

Dans la salle de commandement, Asmodée supervisait la mise en tension du portail. Sur la paroi, une nuée de millions d’ophanim, aux roues d’yeux, auréolées d’éclairs, tournoyait, élevant le singular au cœur d’un tunnel de lumière.

Un grondement fit vibrer la carlingue. Les murs eux-mêmes semblaient s’étirer, se plier sous la force du transfert entre les mondes. Le portail s’ouvrit, lacérant la matière d’un trait de feu. L’espace, d’abord compact, se fissura en spirale, révélant la mer infinie d’Ha Briah, un ciel azur mouvant, cerné de ténèbres vivantes, creusé par d’antiques batailles. Des éclairs, des tempêtes, des hordes de néant tout autour. Le seul chemin sûr était une vallée, balafre luminescente tracée par Abba, le partzuf.

Le convoi s’y engagea, les moteurs tonnant comme des orages. Le vaisseau vibrait sous l’impact de forces invisibles. Partout, les ophanim patrouilleurs sondaient les ténèbres pour détecter la moindre anomalie.

— Perturbations détectées, annonça une voix froide.

Les rapports affluèrent. Des sphères étranges, miroitantes, gravitaient dans la tempête, brouillant les signaux, parasitant les communications. Michaël sentit une tension froide courir dans ses veines : quelque chose approchait. El le savait, el l’attendait.

Le vaisseau trembla, tout à coup. Un choc, d’abord lointain, puis fulgurant. Un rugissement, puis la coque résonna de hurlements. Les alarmes retentirent.

— Brèche ! Démons !

La horde s’abattit, déchirant la coque. Les démons, bêtes suintantes, se ruèrent dans les corridors. Les puissances accoururent, menées par Sparda, dont la lance rouge fendait les ténèbres. Michaël, les bras tendus, fit courir un filet de lumière à travers les conduits du singular, conçus pour la thaumaturgie. Partout où passait son fil, les blessés furent soignés, les halos ranimés. Des cris, des flashs, l’odeur âcre du plasma brûlé.

— Flotte inconnue en approche, annonça Asmodée, le regard vissé à ses moniteurs.

Les écrans montrèrent alors une vision improbable. Une armada de vaisseaux élohiens sphériques avançait dans la vallée. Mais aucun signal, aucune réponse. Les codes restaient muets. Puis, comme un cyclone de ténèbres, des séraphins jaillirent, dans leurs formes apocalyptique, immenses serpents ailés, aux écailles chatoyantes, à la gueule ardente. Els fondirent sur les démons, crachant des rivières de feu. Deux d’entre els, noirs titanesques, dominaient l’attaque, l’un d’eux enveloppé d’une aura plus noire encore : le Métatron. Michaël le reconnut.

Les séraphins du Métatron envahirent le vaisseau, chassant les démons, balayant la horde comme un vent de tempête. Michaël, dans la salle stratégique, laissa courir son filet de lumière pour soutenir les défenseurs, sentant la fureur de Phosphoros enfler en lui.

Soudain, une voix surgit sur le réseau EL. Grave, métallique.

— Fitzarch. Que fais-tu dans ma zone de combat ?

C’était le Métatron, sa voix tranchante résonnant dans l’esprit de Michaël.

— Je mène la guerre, répondit Michaël. Mon passage ici est parfaitement légitime.

— Rien de ce que tu fais n’est légitime, Michaël. Tu n’as rien à faire ici. Tu compromets tout.

Le Métatron avançait, tel un ouragan. Michaël le voyait déjà progresser sur les moniteurs : rien ne l’arrêtait, ni portes ni gardes. Les séraphins prenaient position, désarmant les défenseurs. Les lumières vacillaient.

— El se dirige vers la sphère de navigation, avertit Asmodée. Si el la prend, le vaisseau est perdu.

Michaël se lança à sa poursuite, fendant les ponts du singular. El arriva à la sphère : un globe de cristal de centaines de mètres de diamètre, cerclé de glyphes en rotation lente, baignant l’espace d’une lumière polaire. Le Métatron était déjà là, silhouette cyclonique, ses six ailes repliées comme un manteau de ténèbres.

Un silence assourdissant tomba. Michaël entra, toisant le titan.

— Que faites-vous ici ? lança-t-el, haletant.

Le Métatron, dans une bourrasque d’air, se retourna lentement. Sa forme rétrécit, redevenant humanoïde, mais toujours démesurée.

— Je te retourne la question, répliqua-t-el, la voix douce, presque affectueuse. Le duel, latent, creusait l’air entre eux.

— Parle ! ordonna Michael. Tu pourchasse mon frère c’est ça ?! Trop tard ! El est déjà à Tiphéreth ! Tu ne pourras pas éteindre sa voix !

— Il n’y a qu’une voix qu’il m’importe d’éteindre plus que toute autre, révéla le Métatron. Je m’y emploie sans relâche.

Michaël s’avança, scrutant les yeux d’or liquide.

— Burrhus…

Le sourire du Métatron découvrit une denture trop blanche, trop aiguisée.

— Tu étais mort, cracha Michael. Quand je t’ai poignardé à Hod. Mais tu reviens toujours. Comme un mauvais rêve.

Un rugissement lointain fit vibrer la sphère.

— Pourquoi veux-tu empêcher le retour des primordieux ? demanda Michaël, la voix rauque.

— Certains êtres ne méritent pas de revenir, grogna le Métatron, un râle d’animal blessé. Sa bouche, garnie de crocs, laissait voir une lueur rougeoyante.

— Els sont les gardiens de la Création ! Peu importe leurs choix, tout cela visait notre survie, le retour d’EL, la fin de la Brisure !

Le Métatron ricana.

— C’est ce qu’el t’a vendu, Michaël ?

Phosphoros s’imposa dans la voix de Michaël, grondement abyssal.

— Tu oses porter ce titre… Métatron ! Gardien d’EL, alors que ton but véritable est sa destruction !

Le Métatron montra les crocs, le feu dans le regard.

— Une Création fondée sur la souffrance et le sang des innocents ne mérite pas d’exister.

— Un roi digne de ce nom comprend la nécessité du Sacrifice, cracha Phosphoros.

— Je veux tuer EL, mais toi, tu veux prendre sa place ! accusa le Métatron.

Un éclair jaillit. La sphère de navigation explosa, soufflant la salle en fragments de lumière. Le Métatron attaqua, toutes griffes dehors, mais une brèche s’ouvrit dans la coque : le vide aspira tout. Michaël lança son filet de lumière, s’y accrocha de justesse, pendant que des démons se ruaient dans l’ouverture, s’alliant aux séraphins du Métatron contre les troupes de Guebourah. Le chaos s’étendit, tempête de lumière et de ténèbres.

Au travers de la brume du combat, Michaël aperçut Sparda, ailes de feu, en lutte contre un autre serpent ailé d’ombre : inconnu, terrifiant, luisant d’une puissance sinistre. Au loin, des éclairs mirent à jour la silhouette titanesque d’un vaisseau-mère antique, ciselé d’inscriptions disparues.

Le vaisseau de Michaël, privé de navigation, dérivait, éventré. Michael comprit. Il ne restait qu’une option : prendre d’assaut le vaisseau-mère de Métatron, dernier espoir dans la tempête.

— Trois. Deux. Un…

Un souffle sourd. Puis le choc.

Toutes les capsules fusèrent dans le vide, comme des flèches d’argent arrachées à l’arc céleste. Aux commandes de sa nacelle de cristal, Michaël tira violemment vers le haut, entraînant dans son sillage l’ensemble de la formation, droit vers la monstruosité corrompue. Le vaisseau, noir et massif, descendait lentement vers la flotte élohienne. Il n’avait rien d’un appareil moderne : c’était une relique, un château errant sculpté de colonnades antiques et de statues mutilées. Les ailes brisées des anciens ornaient sa coque, dans un silence sépulcral. Fierté fanée d’un souverain oublié.

Michaël balaya la cible du regard. Autour d’el, les miliciens, casqués, parés, gardaient leur calme. Le regard bleu d’acier de la vertu traversa leurs visières opaques, comme une onde de volonté pure.

— Scan ! hurla Asmodée dans le réseau local. Parfait. Cette chose est molle comme du pain d’ambroisie. Pas la peine de faire dans la dentelle !

Aussitôt, tous comprirent. Le souffle coupé, les muscles contractés, els accélérèrent. Une, deux, trois...

BOOM.

Les capsules percutèrent la coque. L’une après l’autre, elles s’enfoncèrent dans le monstre de métal comme une grêle déchirant un corps gangrené. Chacune se logea dans un secteur différent. Puis, dans un sifflement, elles s’ouvrirent. Un ouragan de débris, de ténèbres et de froid les enveloppa. Mais les miliciens surgirent, déjà en formation. Jusqu’à ce que…

— Par EL…

La capsule de Michaël avait transpercé jusqu’à une chambre vide, plongée dans l’obscurité. L’écho du choc résonna longuement. Une brume blanche s’échappa des respirations haletantes. Leurs armures s’activèrent, scellant la chaleur de leurs corps contre l’abîme glacial. L’air leur brûla les narines. Michaël avança. Ses pieds s’enfoncèrent dans une boue visqueuse. Une pestilence d’outre-tombe monta vers el. À la lueur de son halo, el distingua des crocs, des écailles et une fange grouillante d’où sourdait une corruption palpable. Des démons, déchiquetés à l’impact.

Mais d’autres approchaient. Des rugissements. Des gargarismes. Des râles déments. Les ténèbres s’animaient.

— Formation ! ordonna la vertu.

Boucliers levés, les miliciens formèrent un mur d’acier et de lumière. Michaël dégaina un blaster, et de l’autre main, invoqua la lumière d’EL. Une gerbe éclatante illumina les ténèbres.

BOOM.

La première vague démoniaque les heurta avec la violence d’un ouragan. Des halos explosèrent. Des puissances tombèrent. Michaël, crispé, soutint l’assaut, les dents serrées, le souffle court. Son bras tremblait, mais el tint bon, le regard dur, les ailes trempées de sang. Son filet, comprimé contre la horde, agit comme un bouclier salvateur. Les flammes de Phosphoros s’y ajoutèrent. Mais déjà, el ployait.

— On ne tiendra pas ! cria un officier.

Des ophanim, partis en reconnaissance, signalèrent une issue. Un couloir ouvert. Michaël donna l’ordre du repli. Une poignée de miliciens s’engouffrèrent dans l’issue. Le Fitzarch devait tenir, tenir jusqu’à ce que tous se replient. Mais le filet de lumière se déchira.

— Commandant ! On vous couvre ! Évacuez !

Les miliciens traînèrent Michael vers l’issue. Mais el ne put se résoudre à partir. Pas sans les derniers. La porte blindée du couloir s’abaissa, mais Michael ne retira pas son bras. Par son pouvoir de potence, el retint la porte. Un milicien le saisit pour le tirer de force… mais son bras resta coincé.

— Aaaargh ! Par EL !

Impossible. Le soldat dégaina une lame d’urgence. Un cri étouffé. Le bras fut tranché net, juste sous l’épaule. Une giclée d’or. Michaël chancela. Mais el ne cria pas. El se redressa, ivre d’adrénaline, les yeux glacés d’une haine neuve. El se connecta au réseau El, rejoignit les ophanim. Ces derniers avaient scanné le vaisseau, dévoilant l’étendue de ses entrailles.

Soudain, une voix familière résonna dans le réseau EL local.

— Communication établie, annonça Asmodée.

— Asmo ?! Ca va ?

— On s’en sort. Les démons semblent attirés par ta présence et nous laissent tranquilles.

— C’est moi qu’els veulent éteindre, cracha Phosphoros.

— Où es-tu ? demanda Michael à Asmodée.

— Tu es à tribord, moi à bâbord. Je te propose qu’on se retrouve à la sphère de navigation. Si on en prend le contrôle, le vaisseau sera à nous.

— Bonne idée, dit Phosphoros.

Le trajet jusqu’au cœur du vaisseau fut une épreuve. Les démons affluaient par vagues. Les miliciens, méthodiques, les pulvérisaient. Mais chaque affrontement les épuisait un peu plus.

— On se croirait dans les entrailles d’un cadavre, grimaça Asmodée, toujours via le réseau. Des séraphins purificateurs nous auraient bien aidés là.

— Les séraphins sont des traîtres, siffla Michaël. Exécutez-les à vue.

Un silence glacé suivit. Puis un milicien risqua :

— J’ai vu Abaddon transpercer Sparda…

— Abbadon ? C’est qui ?

— L’autre séraphin immense là, el a prit Sparda à parti et…

Un tir. Le soldat s’effondra. Crâne fondu. Casque fumant.

— À couvert ! hurla Michaël.

Des salves fusèrent. Les miliciens ripostèrent. Michaël, alors qu’el envoyait les âmes de ses camarades au berceau, se pencha sur un des soldats tombés. Un projectile ancien était fiché dans son casque. Ce n’était pas un projectile démoniaque, mais une flèche bien élohienne. La salve dura. D’autres tombèrent. Dix miliciens perdus en quelques instants. Michaël, furieux, arracha une plaque du mur et tira ce qui s’y dissimulait. Aidé par un milicien, el sortit le corps criblé d’un…

— Eloha…

Le cadavre, tordu, méconnaissable, portait des plumes calcinées. Deux cornes embryonnaires jaillissaient de son crâne. Ses membres étaient parsemés d’yeux, certains éclatés.

— On dirait un chérubin… murmura un soldat.

— El n’a qu’une seule paire d’aile, remarqua un autre. Les chérubins en ont deux normalement.

C’est un trône, révéla Phosphoros de but en blanc.

— Un trône ?... mais els ont tous disparu lors de la Seconde Brisure…

Asmodée connecta ses troupes. Les scans montraient une conscience hostile. Organisée. Intelligente.

— Ce n’est pas une horde aveugle, dit le chérubin. C’est une armée. Avec une tête pensante.

Un frisson parcourut la milice.

— La conscience appartient à EL ! rugit un milicien. Pas à l’Abîme !

Michaël leva la main. Diffusa une onde calme.

— Ils ont une conscience, oui. Une conscience pervertie. Mais nous avons la nôtre. Celle de Phosphoros. C’est elle qui nous guidera.

— JE SUIS LA ! hurla Phosphoros.

Un cri s’éleva. Un cri d’armes et de foi.

La troupe atteignit le gouffre central. Au sommet, la sphère de navigation, une structure immense. Les ophanim ne parvenaient pas à la cartographier.

— Il y a quelque chose, je le vois, affirma Phosphoros. Une activité…

Asmodée arriva alors avec ses chérubins. Leurs cercelames ruisselaient encore de sang. Els avaient réduit les démons en purée. Leurs centaines d’yeux avaient tout vu.

— J’ai perdu la moitié de mes troupes, murmura Asmodée.

— Moi aussi, répondit Michaël.

Asmodée baissa les yeux sur son bras manquant.

— Tu saignes encore ?

— Tais-toi. Refais mon bras.

Asmodée sourit. Avec son pouvoir de chimérisme, el fit repousser le bras de Michael en un clin d’œil. Michaël resta un instant ébloui par la beauté du geste. Mais déjà les ophanim confirmaient : la sphère de navigation absorbait toute lumière. Ceux qui y entraient… n’en revenaient pas. Michaël chancela. El faillit tomber à genoux. Mais Asmodée l’aida à se redresser.

— Vos ordres, command’aile ?

Michaël leva les yeux vers l’abîme. Et parla :

— Le Métatron nous attend. El a trahi EL. Mais nous, nous portons sa Lumière. Prêts à lui faire payer ?!

— OUI ! crièrent les miliciens.

Asmodée brandit un lance-missile portatif, un des joyaux de sa collection. El visa. Tira.

BOOM.

Le missile disparut sans bruit. Mais le sol vibra. Le vaisseau gémit.

Alors Michaël ouvrit ses ailes et décolla.

— Michaël !

Un appel fusa, acide et lointain, comme s'il perçait le fond même de l'univers.

Le Fitzarch ouvrit les yeux. Ténèbres. Une douleur vive, brutale, irradia tout son flanc gauche. Le souffle court, el tenta de se redresser. Des fragments de cristal, acérés, lacérèrent ses paumes, craquèrent sous ses genoux et ses pieds lorsqu'el parvint à se relever.

Non loin, une lueur familière pulsa dans l'obscurité : le halo bleu d'Asmodée. Michaël se jeta vers el, s'accrochant à son bras. Le chérubin invoqua une thaumaturgie de feu, et une langue de flamme jaillit, révélant un sol de cristal brisé où gisaient les restes d'élohim tombés.

— Où sont les autres ?

Déployant son filet de lumière, Michaël capta une quinzaine de halos, vacillants. Trois chérubins. Le reste, des puissances. Tous blessés, lacérés. Le sang d'or de leurs blessures se mêlait à la poussière cristalline. Peu à peu, els convergèrent vers Michaël et Asmodée, formant un noyau égaré, un radeau de survivants.

Michaël transmit des soins à travers son filet. La thaumaturgie d'Asmodée, elle, éclairait progressivement la salle. Des murs immenses se dessinèrent : de cristal et de métal, gravés de symboles anciens. Des fresques mouvantes y figuraient des silhouettes drapées de couleurs vives, coiffées de couronnes de verre, de feu ou d'or.

Soudain, Asmodée grogna et pointa le sol. Michaël baissa les yeux. Un cadavre. Mais le regard hanté du chérubin le poussa à s'approcher. Le corps était pulvérisé, déchiqueté. Sa chair noire, suintante, se mêlait à des milliers d'éclats de cristal.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demanda Michaël.

— Cette chose nous a attaqués, répondit Asmodée. C'était... trompeur. Inoffensive en apparence. Puis ça a éclaté. Il y en a d'autres.

— Qu'est-ce que tu as vu ?

Asmodée avisa le fond de la salle. Un rideau colossal y pendait, tendu depuis les hauteurs invisibles. Les miliciens s'y dirigèrent, avides d'en découdre. Michaël les freina, multipliant les bénédictions.

— Il nous reste des ophanim ?

— Non...

Michaël colla sa main contre le rideau, envoyant son filet de lumière au-delà du tissu. Ainsi, el effectua un scan grossier de la zone. Elle perçut une fosse centrale, un promontoire, et des balcons superposés, comme un amphithéâtre.

— C'est une salle de spectacle, annonça le Fitzarch.

— Quoi ? fit un milicien.

— On est pas censé être dans la sphère de navigation ?

Asmodée voulut arracher le rideau. Michaël tenta de le retenir. Trop tard. Le tissu chuta, révélant la scène. Michaël ordonna une formation. Les miliciens prirent position, chérubins aux balcons, puissances en contrebas.

Et alors, els les virent. Deux êtres étranges. Hautes, fines, drapées d'or. Deux silhouettes couronnées de casques de cristal. Leurs visages étaient translucides. Michaël comprit alors.

Des azohim. Ici ?

— Attaque.

Sans hésiter, el transmit une onde de commandement par le filet. Les halos des élohim s'intensifièrent. Puis la tempête. Une déferlante de feu, de plasma, de lumière. Les blasters hurlèrent. BOOM. BOOM. BOOM.

Les tirs cessèrent. Asmodée se précipita. El déploya ses ailes, ses cercelames, s'élança. Les azohim levèrent les bras. Asmodée fut figé en plein vol, ses membres tordus par une force invisible. Un dôme de protection était apparu autour d'elles. Le chérubin hurla, lutta, parvint à glisser son blaster à travers le dôme. Une détonation. Le champ se brisa. El bondit, trancha.

Mais la seconde azoha intervint, le replaquant d'un regard. Sa lame ne fit qu'érafler la peau. L'armure du chérubin se mit à se fissurer sous l'emprise des deux azohim.

Michaël, tapi derrière la scène, surgit. El tira. Trop tard. Son blaster fut projeté au loin. El dégaina son couteau. Une frappe nette, au sommet du crâne. Le bouclier cèda. Asmodée étrangla la seconde, lui arracha la tête dans un cri primitif.

Silence.

Des corps écroulés. Du sang noir, visqueux, suintait au sol. Les miliciens, hagards, paniquèrent. Michaël tenta de les calmer via le réseau EL, mais même avec ses pouvoirs, la peur s'étendit.

— C'était quoi ce bordel ?!

Certains courrurent, d'autres brisèrent les formations. Michaël cria, ordonna, rameuta.

Le regard de Michaël se posa sur les cadavres. Ce qu'el avait cru être des casques était en fait leur crâne, dénudé, poli. Leurs bras aussi : des os à nu, translucides.

Asmodée s'approcha, hoche la tête.

— Elles étaient corrompues. Et leur design... ancien.

Une puissance fracassa le bras d'une d'un coup de pied. Michaël hurla.

— STOP !

— Faut les détruire !

— NON ! On doit les étudier !

La tension monta. Michaël fendit la foule et tira un autre rideau. Derrière, une arrière-scène gigantesque, plongée dans l'ombre. Des structures rectangulaires, des cercueils ? Drapés de noir, rangés autour d'une sphère métallique familière.

— Ne touchez à rien !

Des fresques ornaient les murs, décrivant des azohim dansant avec les ténèbres, dans un ciel marin constellé. Asmodée retira une bâche et découvrit un cercueil de verre. Dedans, se trouvait une azoha, endormie. Michaël accourut. D'autres miliciens soulevèrent les toiles. Des dizaines de cercueils. Tous contenant des azohim.

— Celles-ci ont l’air normales, dit Asmodée.

— Rien n'est normal ici !

— Command’aile ! Joph a vu quelque chose !

Une puissance, Jophiel, tirait sur un cercueil, hurlant.

— STOP ! Que fais-tu ?!

Michaël la rejoint, capta sa panique via le filet. Des mots émergent.

— Maman... c'est ma mère...

— Ta mère ?

— Je la reconnais !

Les autres miliciens scrutèrent chaque cercueil. Leurs voix s’élevèrent.

— Je l'ai vue... Je la reconnais...

Un frisson glacial parcourut Michaël. El avançait lentement entre les cercueils, les cœurs battants, son filet sensible aux remous émotionnels qui secouaient ses troupes. Chaque cercueil soulevait un écho dans le réseau EL, chaque visage cristallin ravivait une mémoire oubliée.

Puis el la vit.

Un cercueil légèrement en retrait, recouvert d’une bâche plus lourde que les autres. Une intuition foudroyante traversa Michaël. El arracha le voile, le souffle coupé.

Marilka.

Figée dans le cristal, les yeux clos, le visage paisible, trop paisible, comme une statue taillée dans la lumière et la glace. Ses longs cheveux d’ambre flottaient doucement dans un liquide amniotique.

— Non…

Le mot s’échappa de ses lèvres dans un souffle. Tout son être sembla s’effondrer. Ses genoux cognèrent le sol. El posa ses mains tremblantes sur la vitre, colla son front contre le verre.

— Marilka… qu’est-ce que tu fais là ?

La boule dans sa gorge devint étouffante. Ses ailes se contractèrent d’elles-mêmes. Michaël activa son réseau, tenta d'établir une connexion. Rien. Un silence oppressant. Aucune réponse.

Alors el chercha les loquets, les verrous, les failles dans le cercueil. Sa main s’illuminait d’une chaleur fébrile, tentant de forcer le mécanisme de libération.

— Ouvre-toi… Par El, ouvre-toi !

Mais rien ne céda. Le matériau n'était pas un simple cristal. Il était vivant, protégé, scellé par une technologie ancienne. Michaël sentit son filet se heurter à une protection invisible, comme un mur édifié pour garder Marilka prisonnière dans un sommeil perpétuel.

— Que fais-tu ici ? El t’as pris… El t’as pris…

Ses yeux s’embuèrent. Tout vacilla. Ses mains martelaient désormais le verre, dans une fureur sourde.

— Réveille-toi, je t’en supplie. C’est moi… c’est Michaël. Je suis là. Je vais te sortir de là. Je te le jure.

Une onde d’émotion pure se propagea dans le réseau EL, suffocante, désespérée. Plusieurs miliciens se figèrent, tétanisés par ce chagrin brut. Un silence de cathédrale s’installa autour du cercueil. Alors Michaël recula d’un pas, son halo crépitant d’un feu glacé. El arma son bras, visa le cercueil, prêt à le briser.

— Ne fais pas ça, Michaël, murmura Asmodée.

— Je dois la sortir de là.

— Et si tu réveillais un monstre ? Et si ce n’était plus elle ?

Michaël tressaillit, les lèvres tremblantes. El baissa le bras, pris dans un dilemme plus vaste que son chagrin. La lueur du cercueil se reflétait dans ses yeux rougis.

— Je vais te ramener, Marilka, souffla-t-el.

— Michaël ! s’étrangla Asmodée. Devant ! El est devant !

— Quoi…

Deux iris d'or apparurent dans l'obscurité, baignés d'un feu surnaturel. Michaël sentit son souffle se briser. Ces yeux la transpercèrent, d'abord dorés, puis rougis par la démonie. Une silhouette émergea, colossale, noyée dans une mer mouvante d'ombres. Abaddon.

L’ombre du Métatron était là. Fusionné au mal absolu.

Le démon saisit Asmodée à la gorge, l'éleva comme une proie sans poids. Par son bras, les ténèbres se ruèrent dans le corps du chérubin, infectant sa chair de corruption pure. Un flot noir, visqueux, dévora ses canaux spirituels. Paralysé, Michaël sortit enfin son blaster.

— Lâche-le ! Viens t'en prendre à une force à ta mesure ! rugit-el, sa voix tremblant de fureur.

Abaddon ria. Un son rauque, profane. El jeta le corps d'Asmodée et se rua sur Michaël. El tira, un barrage de lumière, mais le monstre esquiva avec une vitesse surnaturelle. Piégé entre les murs de cristal et l'énorme masse démoniaque, el n'avait nulle part où fuir. Le démon le plaqua, saisit ses bras, bloquant ses tirs. El tenta de lui donner un coup de genou. Peine perdue. Abaddon l'immobilisa d'une main poisseuse de ténèbres. Dans un sursaut, Michaël libéra un bras, tira son couteau, et fendit le visage du démon.

Abaddon recula, grogna. El arracha son blaster à Michaël et le jeta dans les ombres. Son sourire s'étira, dévoilant des crocs luisants de sang noir. Michaël se dégagea, s'envola. Aucune issue. Il fallait le tuer. Maintenant. Michael plongea, poignard au poing, lame au pied. El le taillada, esquivant, fendant, frappant avec la férocité du désespoir. Mais Abaddon restait là. Immobile. Moqueur.

Puis soudain, el la saisit par la cheville. El la fracassa contre le sol, brisant son souffle et ses os. Michael hurla, tenta de riposter. Abaddon, implacable, le souleva par le cou. Son rire était un gouffre. Les ténèbres ruisselaient sur ses bras. Michaël faiblissait.

Puis Abaddon chancela. El lâcha prise. Michaël s'effondra. Rampant dans la douleur, el se connecta au réseau EL et vit Asmodée. Son halo, vacillant, brillait encore. Avec ses dernières forces, el avait transpercé Abaddon de sa cercelame. Un sanglot monta à la gorge de Michaël. Elle envoya une onde de régénération, mais déjà, le halo du chérubin s’éteignait.

— NON ! rugit Michael.

— La curiosité est un vilain défaut, dit une voix abyssale.

Le vaisseau tout entier vibra. Michaël vit les parois se fissurer. Les corps de ses camarades se désintégrer, aspirés par les ombres. El leva les yeux. Le Métatron. L'archange séraphique descendait, toutes ailes déployées, son halo en feu. El hurla un ordre à son frère. Puis, levant les bras, el fit léviter tous les cercueils azohiens. Une ronde spectrale, rituelle.

Abaddon prit son envol, déploya des ailes de ténèbres, se métamorphosa en trou noir. El absorba tous les cercueils. Toutes les azohim. Tout.

— Où les emmènes-tu ? s’écria Michael, entre effroi et désespoir.

— En lieu sûr. Loin de toi.

— Traître ! rugit Phosphoros.

— Tu veux les récupérer ? rit le Métatron. Et bien vas-y. Que Michael accomplisse sa destinée et te cède son corps.

— Phosphoros ! Vas-y ! Fais-le ! supplia Michael. Tu peux encore sauver Marilka !

Le Métatron rit encore. El leva sa main énorme et invoqua une vision. Deux êtres en contrebas d’une Couronne aveuglante.

Phosphoros s’enflamma. Michael perdit le contrôle de son corps alors que le primordieu s’incarnait enfin. Mais trop tard. Le Métatron fondit sur el.

Please Login in order to comment!