Chapitre 1

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Michaël entra dans le Domitia en fanfare, retrouvant le navire céleste après cinq ans passés à Tiphéreth. Porté par des milliers de vertus, Michaël fut pris dans un tourbillon d’adoration. Les élohim, euphoriques, le lancèrent dans les airs. Els se mirent à chanter et à prier, l’honorant comme si el était un héros des temps anciens. Confus, Michaël se laissa quelques instants profiter de sa victoire. El allait à Guebourah, enfin.

Non loin, Nana suivit attentivement Michaël. Avec habileté, l’agent de Géhenna utilisa son filet lumineux de vertu pour envoyer des ondes calmantes sur la foule, permettant à un petit groupe de puissances d’extraire Michaël, l’embarquant en un clin d’œil dans une navette de transport.

— Nous devons vous conduire à la Flèche, indiquèrent les puissances à Michaël. Le Grand Capit’aile vous y attend.

Le jeune Fitzarch se laissa faire. El s’assit dans l’habitacle, reprit son souffle, soupirant de soulagement. Alors que le vaisseau s’élevait dans les airs, Michaël redécouvrit l’intérieur immense du Domitia, les yeux ébahis. La cité du vaisseau-monde était comme neuve, ses bâtiments de marbre beige reluisants, ses jardins et ses fontaines emplis d’élohim joyeux. Dans les hauteurs, on voyait les six piliers qui soutenaient le ciel artificiel du vaisseau, bien solides. Lévitant dans les airs, la Sphère, centre des navigateurs, et la Flèche, fief du capit’aile, semblaient intacts.

Et pourtant, il y a cinq ans, le vaisseau censé amener Michaël clandestinement à Guebourah, avec les machinations de Géhenna, avait été ravagé par les démons du temps. Michaël, avec les autres élohim du vaisseau, avait réussi à reprendre le contrôle de la Flèche de la capit’ailerie et de la Sphère des Navigateurs. Ces derniers avaient pu retrouver leur route, mais le vaisseau était toujours infesté de démons. S’il était arrivé à Guebourah dans cet état, les autorités réputées impitoyables du royaume l’auraient simplement atomisé, sacrifiant au passages les élohim à bord. Mais avant de pouvoir faire quoi que ce soit pour aider, Michaël avait été éjecté du Domitia par Nana, l’agent de Géhenna qui l’accompagnait. Ce dernier, comme si de rien était, raccompagnait maintenant Michaël à l’intérieur. Réalisant l’ironie de la situation, le jeune Fitzarch pinça ses lèvres.

— Bienvenue à bord !

Michaël sursauta. El se retourna. Assit sur une rangée de sièges derrière el, Nana l’observait, son air mutin. Excédé, Michaël se détourna d’el, décidant de l’ignorer.

— Tu boudes ? minauda ce dernier.

— Vas-tu m’éjecter par-dessus bord si je ne te réponds pas ? demanda Michaël, agacé.

— Oh non… seulement si tu pousse encore Satanachia à me l’ordonner…

Michaël ne répondit pas, l’angoisse et l’indignation montant dans sa poitrine. Des centaines de questions, de doutes, émergèrent dans son esprit. El déglutit, s’imposa la sérénité.

La navette entra dans le grand hangar de la Flèche. Michaël la trouva tout à fait inchangée. Débarqué, escorté par les puissances et suivi par Nana, el traversa la passerelle sur laquelle el avait affronté un gros démon, sous l’emprise du Sang d’Adam. Ses souvenirs revinrent en flashs douloureux. Michaël se pressa et rejoignit les quartiers de la capit’ailerie, un enchaînement de salons, où étaient exposés des milliers d’artéfacts. Après la mort du Grand Capit’aile Zinebiel, tué par Nana, son équipage semblait avoir préservé son héritage. Savaient-els qu’à présent, Géhenna réinvestissait leur vaisseau pour emmener Michaël à Guebourah ? Encore surprit par le retour du Domitia dans sa vie, Michaël sentit comme le souffle d’une bête rouge dans son cou, et frémit.

Michaël fut finalement conduit dans la salle de réception du capit’aile. L’endroit semblait conçu pour impressionner tout visiteur. Immense et circulaire, la salle était illuminée par la lumière des milliers de petits cristaux suspendus au plafond, formant des constellations mouvantes, qui projetaient leurs reflets sur les murs. Ces derniers étaient recouverts de plaques d'obsidienne polie, gravées de figures élohiennes en plein vol. Un imposant trône, sculpté dans un seul bloc de rubis, trônait au centre de l’espace. Derrière le siège, un vitrail massif représentait une aile ouverte, éclatante de lumière bleue et dorée, rehaussait le halo azur de la domination qui trônait en-dessous. Michaël ne la reconnut pas immédiatement. Des chérubins-navigateurs, tous en tenue d’apparat, se tenaient de part et d’autre du Grand Capit’aile. Des principautés, placées à des endroits stratégiques, jouaient une mélodie éthérée, tissée de chœurs cristallins et de harpes lumineuses, qui s’élevait dans les hauteurs pour lier les étoiles entre elles.

— Bienvenue sur le Domitia Michaël Fitzarch, je suis ravi de te revoir.

Michaël baissa les yeux sur le Grand Capit’aile. Ce dernier avait la peau noire, de longs cheveux bruns, de grands yeux azur. Le souffle de Michaël se coupa. El s’immobilisa. C’était Zinebiel. Oui, Zinebiel se tenait devant el, rayonnant, bien vivant. Les yeux ébahis, Michaël déglutit. Il y a cinq ans, el avait pourtant vu le capit’aile mort, tué par Nana, son halo éteint… Comment était-ce possible ? Confus, Michaël observa les sous-capit’ailes, et découvrit parmi els Sasha, capit’aile des principautés de la Maison des Plaisirs du Domitia. Michaël retrouva son ancien amant avec soulagement. El était toujours aussi beau, paré de soie et de bijoux éclatants. Els échangèrent un regard, leurs halos se connectant dans le réseau EL. Avant toute autre chose, Sasha envoya à Michaël un avertissement.

— Zinebiel ? demanda le Fitzarch.

— Non, ce n’est pas vraiment Zinebiel, répondit télépathiquement Sasha.

— Qui est-ce ?

Sasha lança un regard discret en direction de Nana, qui arrivait à son tour.

— Géhenna…comprit Michaël. Évidemment…
Alors que Zinebiel s’approchait d’el, Michaël sentit l’odeur ferreuse du sang d’Adam agresser ses narines. Le vrai Zinebiel était bien mort, remplacé par un agent de Géhenna gorgé de la thaumaturgie rouge. Que diable s’est-il passé ? se demanda Michaël. Le capit’aile usurpateur salua le Fitzarch, un sourire amusé aux lèvres. Michaël cru reconnaître celui de Satanachia, et frémit. Je ne peux pas me permettre de faire un scandale, décida la jeune vertu. El rendit poliment les salutations. Cela fait, le faux Zinebiel lança les festivités, parmi les nobl’ailes du Domitia. Un repas fut servi, une piste de danse ouverte. Michaël devint le centre de l’attention, sans que personne n’ose venir lui parler.

Pourquoi tout le monde me regarde ?

Michaël se dirigea alors vers Sasha. Sans y réfléchir, el enlaça la principauté. Au premier contact, une tendresse folle l’envahit, un soulagement heureux. Malgré la présence oppressante de Géhenna, ses cœurs s’emballèrent.

— Tu es en vie, souffla Michaël.

Sasha sourit. El emmena Michaël sur la piste de danse en entama un slow romantique.

— Que s’est-il passé ? demanda le Fitzarch. Je croyais le Domitia perdu à jamais…

— Pas ici, chuchota Sasha. Pas maintenant.
Michaël observa les alentours. Tous les regards convergeaient vers el.

— Qu’est-ce qu’els me veulent ? demanda-t-el dans un rire nerveux.

— Tu es leur sauveur, chuchota Sasha. Leur libérateur.

— Ah bon ? Vous êtes prisonniers ici ?
D’une caresse sur la joue, Sasha ramena l’attention de Michaël vers el. Le Fitzarch se perdit alors dans sa beauté, ses yeux ambre, ses lèvres roses.

— Tu m’as manqué, réalisa Michaël.

Sasha leva un sourcil circonspect.

— Tu ne me crois pas ?

— Un nobl’aile comme toi m’a forcément oublié…

Michaël attrapa Sasha par la taille.

— Laisse-moi te prouver le contraire, chuchota-t-el à son oreille.

Allongés devant un écran, Michaël et Sasha observèrent la route de la Justice, que le Domitia parcourait pour relier Tiphéreth à Guebourah. La route, faite de dalles brunes, serpentait au milieu de vastes nuages de sable. Des îles flottantes ponctuaient le voyage, chacune recouverte de forêts translucides. Chaque île était formée d’immenses plateaux rocheux suspendus, leurs falaises striées de motifs rappelant des spirales et des empreintes fossiles. Ces gravures, qui scintillaient d’une lumière douce, rappelaient que le passé laisse toujours une trace.

— Alors ? demanda Michaël, reprenant son souffle.

— Mmh ? fit Sasha.

— Le paysage te fascine plus que moi je vois, s’amusa Michaël.

Sasha sourit, se retourna vers son amant.

— J’ai scruté ce paysage des années durant, à t’attendre…

— Alors le Domitia était suspendu là ? Sur la route de la Justice ?

— Oui. Et moi avec.

— Pourquoi ? s’étonna Michaël.

— Géhenna nous a retenu là. Els t’attendaient. Nous t’attendions.

— Est-ce une sorte de blague ? demanda Michaël.

Sasha fronça les sourcils.

— Désolé, s’excusa Michaël. Je ne voulais pas trivialiser ton emprisonnement… Géhenna nous doit des explications. Raconte-moi donc !

— Géhenna nous a sauvés, je suppose, expliqua alors Sasha. Nous étions perdus dans l’espace inter-céleste, le vaisseau infesté de démons, notre arrivée à Guebourah remise en cause. Puis soudain, tu as disparu, Zinebiel aussi. C’était la panique à bord. Nous avons cru à votre fuite, a votre abandon…

— Par EL, soupira Michaël.

— Mais quelques jours plus tard, le vaisseau a été abordé par une armée de puissances toutes habillées de rouge. La Milice de la Vengeance, s’appelaient-els. Et Zinebiel était à leur tête. El était allé les chercher, a-t-el expliqué. Els ont nettoyé le vaisseau de fond en comble, tout réparé, tout ravitaillé. Mais rapidement, j’ai réalisé que mon ami Zinebiel… n’était plus vraiment el-même.

— Un agent déguisé, un pantin gorgé de sang d’Adam, comprit Michaël. Comme Vilanel ou Nana…

— Oui… Le vrai Zinebiel avait disparu, et toi avec. Je vous ai crus morts.

— Zinebiel est mort, expliqua Michaël. Nana l’a tué car el voulait l’empêcher de fuir.

Sasha se prit le visage entre les mains, poussa un soupir emplit de larmes.

— Mais toi ? hoqueta-t-el.

— Nana m’a expulsé du vaisseau… J’ai pas trop compris le projet derrière ça mais bon… J’ai dérivé jusqu’à être attrapé par un autre vaisseau qui m’a conduit sur la route du Diable, puis à Tiphéreth. J’imagine que tout cela n’était pas un hasard.

— Géhenna nous a dit qu’els te recherchaient. Et que tant que tu ne serais pas retrouvé, nous ne pourrions rejoindre quelconque royaume.

— Et les millions de passagers et de membres de l’équipage n’ont pas bronché ? s’étonna Michaël.

— Non ! s’indigna Sasha. Els étaient comme… sous emprise… Ce capit’aile, qui qu’el soit vraiment, est une domination sacrément puissante. Par sa voix, el a soumis toute la capit’ailerie, les navigateurs, et les passagers.

— Et toi ? El t’a soumis ? demanda Michaël.

— Je… je ne sais pas… Je me suis tût, pour protéger ma chorale.

— C’est fini maintenant, promit Michaël. Lorsque nous arriverons à Guebourah, je m’assurerais de votre libération à tous.

Le visage de Sasha se voila de doute.

— Je m’en remet à toi, soupira-t-el.

Déterminé, Michaël se leva et s’avança vers l’écran. El observa les vaisseaux des anges et des principautés qui circulaient en parallèle du Domitia, dominant le flux des âmes en-dessous. Sur la route de la Justice, sur les îles-fossiles, les âmes en chemin vers EL se jugeaient les unes les autres, révélant par leurs verdicts leur caractère profond. Ainsi, les âmes, se croyant juges, étaient en fait secrètement jugées par les anges de Fossilia Caeli, qui décidaient de si elles étaient assez matures pour poursuivre leur ascension vers EL, ou non.

— Quels sont les critères qui déterminent si une âme juge bien ou non ? demanda Michaël.

— Je sais pas, il faut que l’ange soit du même avis qu’elle, peut-être, proposa Sasha.

— Ça me semble un peu foireux…

— Je connais mieux les travaux de mes camarades principautés.

Dans le sens descendant de la route de la Justice naviguaient les vaisseaux la très simplement nommée Law, chorale des principautés de la miséricorde. Là où les anges scrutaient les âmes ascendantes, les principautés de Law animaient des spectacles vivants enseignant aux âmes descendantes les grandes lois de la vie et de la Création. Ainsi, elles les préparaient à leur prochaine incarnation. De gigantesques statues ailées bordaient le chemin de ces âmes, les yeux fermés, tenant des balances. Des arcs cristallins parsemaient leur route, chaque arc contenant des inscriptions des lois cosmiques gravées dans une lumière scintillante.

— Qu’elles soient physiques ou sociales, les lois de la Création s’appliquent à tous sans distinction. Les principautés de Law tentent de le faire comprendre aux âmes…

— Mouais, fit Michaël, dubitatif quant à l’efficacité de ces enseignements.

Les créatures des mondes fertiles de Malkouth lui avaient toujours semblé si primitives…

— C’est indispensable pour assurer leur progrès… Tu devrais t’en inspirer Michaël.

— Ah ? fit le Fitzarch, surprit.

— Guebourah est un royaume bien différent de Hod ou de Tiphéreth. Il est régi par des règles aussi drastiques que brutales. Une justice implacable qui ne distingue pas le nobl’aile du peupl’aile. Tu vas devoir… t’adapter…

— Tu penses que je manque d’éducation ? s’indigna Michaël.

— Tu as… la tête dure, c’est tout.

— Rha ! pesta Michaël. Je suis pas débile, je saurai m’adapter. Et puis je suis sûr que tout se passera bien avec le command’aile Sparda. On a les mêmes objectifs el et moi : casser du démon !

Sasha se pinça les lèvres. Réprimait-el un rire ou une gêne ? Michaël, embarrassé par son amant, n’osa lui demander. El commença à se rhabiller.

— Si tu crains que je ne m’adapte pas, tu n’a qu’à m’accompagner là-bas, dit Michaël, ses ailes tressautant sous ses paroles. Tu pourras jouer ton rôle de principauté et m’enseigner des choses.

— Non. Je ne veux pas vivre à Guebourah.

Michaël se stoppa, surprit. El scruta Sasha, réalisant la perspective d’un nouvel adieu.

— Je veux retourner à Netzach, dit la principauté. Mon royaume natal.

— Pourquoi pas Guebourah ? fit Michaël, têtu.

— Tu me poses sérieusement cette question ? s’indigna Sasha, dans un sourire contrit.

— Ça peut pas être si terrible que ça, si tu restes dans la capitale… Les démons ne t’atteindront pas.

Le halo de Sasha s’affaiblit, sous la peur.

— C’est pas les démons qui m’effraient, c’est la culture là-bas, dans ce royaume-là.

— Une culture militaire assurément, s’amusa Michaël.

— Une culture de brutes sans cœurs, insensible à quelconque forme d’art.

— Ça promet…

— Tu as eu un petit aperçut avec Géhenna.

— Els ne peuvent pas être tous comme Géhenna, opposa Michaël.

Sasha soupira, sans rien dire.

— Bon… Tu as raison, sourit Michaël en finissant d’ajuster son uniforme. Guebourah n’est pas fait pour un aussi bel être que toi.

— Je veux retourner à Netzach, pressa Sasha. Vite. Mais ma troupe et moi sommes prisonniers de ce maudit vaisseau.

— Ça va cesser.

— Tu penses vraiment pouvoir nous libérer ?

— Oui.

Sasha soupira.

— Tu m’crois pas ? dit Michaël. Eh bien, allons donc demander au “Grand Capit’aile”.

Michaël saisit Sasha, le tirant hors du lit. El le tint contre el, baisant ses joues avec une candeur joyeuse. Amusé, Sasha renfila sa robe et suivit Michaël hors de la chambre.

— Je suis là pour toi, je suis là, rassura Michaël. Je suis un enfant de prophétie, paraît-il. Je suis spécial. Je compte bien exploiter ça…

— Coucou !

Alors qu’els sortaient des quartiers de Sasha, Michaël et son amant tombèrent nez à nez avec Nana.

— Alors ? Les retrouvailles se sont bien passées ? Vous vous êtes bien amusés ? Était-ce satisfaisant ?

Excédé, Michaël entraîna Sasha loin de l’agent de Géhenna, qui se mit à les suivre dans les couloirs de la Flèche.

— Tu as de la chance Sasha, ricana Nana. Moi je n’ai pas eu droit à des retrouvailles aussi passionnées !

Sasha lança un regard indigné à Nana, réprimant une réplique acerbe.

— Ignore-le, ordonna Michaël. Tout cela sera bientôt derrière nous.

— Pourquoi vous voulez toujours m’ignorer ! pesta Nana. Attendez ! Attendez !

Nana attrapa alors un volant de la robe de Sasha, tirant dessus. Michaël se retourna, saisit Nana par le cou, et le plaqua contre le mur dans un sourd fracas.

— Arg !

Le halo de Nana faiblit, mais celui de Michaël ne fit que grandir, gonflé par une sourde colère.

— J’ai une question, Nana, fit froidement Michaël.

— Arg ?

— Allez-vous laisser Sasha tranquille ?

Michaël lâcha le cou de Nana, tout en plantant son regard perçant dans le sien. L’agent de Géhenna déglutit. Le jeune Fitzarch avait étrangement grandit ces cinq derniers cycles.

— Sasha ? Ah, oui… El sera libre de repartir, bien sûr…

— Pourquoi avez-vous séquestré tout le monde ici des années durant ? s’indigna Michaël. C’est atroce ! Avec les hordes titanesques qui rodent !

— C’est Satanachia qui a pris cette décision, se défendit Nana. El sait mieux ce qui est bon pour chacun, crois-moi.

— El sait mieux ce qui est bon pour el-même surtout, argua Michaël.

— N’es-tu pas reconnaissant envers Géhenna ? supplia Nana. Nous te permettons de réaliser ton rêve, mourir sur le front de l’Abysse, alors que nous pourrions plutôt t’envoyer chez un psychiatre.

— Je ne me fais pas d’illusions. Vous m’utilisez à vos fins. Je vous utilises aux miennes.

— Nos objectifs sont les tiens, affirma Nana.

— Nous verrons bien, rétorqua Michaël.

Le Fitzarch se détourna de l’agent de Géhenna et reprit son chemin.

— Vous êtes partis bien vite tout à l’heure, haleta Nana en trottinant toujours derrière. Zinebiel n’a pas eu le temps de s’entretenir avec toi.

— Je sais, dit Michaël.

Arrivés dans la salle de réception de la capit’ailerie, Michaël retrouva le faux Zinebiel assis sur son trône de rubis, à siroter sans complexe un verre de Sang d’Adam. Sasha frémit, mais Michaël tint fermement sa main.

— Ah ! Michaël ! Vous voilà ! Sasha vous a fait bon accueil ? s’amusa le capit’aile, un sourire coquin aux lèvres.

Michaël ne répondit pas, la mine grave.

— Oh, s’étonna Zinebiel. Ma petite principauté n’a-t-el pas bien travaillé ?

— El est à moi maintenant, dit alors Michaël.

— Mmh ?

— Sasha est à moi, vous le laisserez partir.

Sasha frémit à nouveau. El regarda Michaël, confus et effrayé.

— Sasha est à vous oui, affirma alors Zinebiel. Comme le reste des passagers de ce vaisseau.

Ce fut à Michaël de laisser transparaître sa confusion. Son air assuré se décomposa.

— Nous arriverons à Guebourah dans vingt jours, annonça le faux Zinebiel. Nous débarquerons au célestoport de Madim. Une fois arrivé, le Domitia vous rendra les passagers à bord, toutes les chorales de puissances et de vertus notamment. Elles seront placées sous votre commandement.

— Ok… Hein ?

Prit de cours, Michaël fronça les sourcils. Avait-el mal entendu ? Était-ce une blague ? El regarda Sasha, qui faisait une mine tout aussi hallucinée.

— Les passagers du Domitia ont été envoyés par Hod comme renforts pour Guebourah, rappela le faux Zinebiel. Els sont enfin arrivés à destination et seront affectés à la Milice de Madim, comme prévu. En tant que sous-command’aile de cette Milice, vous aurez le commandement de ces troupes, au bon plaisir du command’aile Sparda.

— Pardon ? Quoi ? fit Michaël. Je suis sous command’aile maintenant ?

— Oui. Cela ne vous convient pas ?

— Euh…

Michaël ne sut quoi répondre. El n’avait même pas encore fait ses preuves auprès de Sparda, des miliciens, de Guebourah. Et surtout, el n’avait encore rien appris d’els. Pourquoi le propulsait-on à un poste de sous-command’aile ? Était-ce une sorte de piège ?

— J’ai ce poste simplement parce que je suis un Fitzarch, c’est ça ? comprit Michaël.

— Pensez-vous que la place d’un Fitzarch est parmi la piétaille ? s’amusa le faux Zinebiel.

Michaël soupira.

— Bien, concéda-t-el, s’évitant un débat inutile. Et qu’adviendra-t-il du Domitia ?

— Le vaisseau reprendra sa rotation habituelle sur la route du Pendu, dit le faux Zinebiel.

— Sasha et sa chorale pourront-els partir ?

Sasha sursauta, s’accrochant au bras de Michaël. L’agent de Géhenna sourit faussement.

— Naturellement. Ce vaisseau n’est pas une prison.

— Il l’a été, rappela Michaël. Pendant des années.

— C’était un confinement sécuritaire, affirma le faux Zinebiel. Entre les démons du temps et les hordes titanesques, il a fallu prendre des décisions radicales. Et puis, en vérité, ce vaisseau, ses passagers, vous attendaient, Michaël.

Le jeune Fitzarch serra les dents, ses cœurs battant en écho aux paroles du faux Zinebiel. En une seconde, el comprit la complexité de la toile tissée autour d’el. Chaque mot du faux capit’aile, chaque sourire énigmatique, était un fil d’araignée destiné à l’immobiliser. Pourtant, Michaël refusa de plier. El redressa ses ailes et affirma d’un ton tranchant :

— Bien. Je prendrai le commandement de ces troupes. Mais sachez une chose, Zinebiel, ou quel que soit votre véritable nom : je ne suis pas une marionnette. Que ce soit Géhenna ou Satanachia directement qui tire vos fils, je ne jouerai pas leur jeu. Je suis Michaël Fitzarch, et je servirai le Grand Dessein à ma manière.

Le faux Zinebiel ne répondit pas immédiatement, se contentant de sourire, son halo scintillant d’un éclat presque moqueur. Derrière el, les sous-capit’ailes échangèrent des regards furtifs, mal à l’aise face à la confrontation. Enfin, l’agent de Géhenna déclara d’une voix douce, presque trop amicale :

— J’ai hâte de voir ce que cela signifie.

Michaël s’inclina légèrement, un geste purement diplomatique, avant de se détourner. Sasha, toujours accroché à son bras, murmura à voix basse :

— Qu’est-ce que ça veut dire ?

— Qu’els n’ont pas d’excuses pour te garder ici, sourit Michaël. A priori… Je reste sur mes gardes.

— Pourquoi as-tu dit que je t’appartenais ? demanda sèchement Sasha.

Michaël sourit, regarda son amant avec tendresse.

— Ah, tu ne m’appartiens pas ?

— Non ! s’indigna Sasha, un sourire nerveux aux lèvres.

— Relax, soupira Michaël. Je ne compte pas te contraindre à quoi que ce soit. Mais temps qu’on est pas sortis d’ici, je te garde près de moi.

Vingt jours plus tard seulement, le Domitia arriva bel et bien à Guebourah, franchissant le portail de la Sévérité, tenu par les ophanim, dans un fracas chaotique. Juste avant la traversée, une tension palpable s’empara de la capit’ailerie de la Flèche. Sur le pont de commandement, Michaël suivit attentivement le passage via des écrans de retransmission, fenêtres artificielles sur l’extérieur. El entendit les prières des élohim.

“Eveil’artisan, assure-nous sauf passage

Dans ce tunnel d’espace-temps que tu as cousu si habilement

Conduis-nous à Guebourah, son Astarté, son Gueb

Préserve-nous de la perdition”

Préserve-nous de l’espace orageux d’Olam Ha Yetzirah, pria intérieurement Michaël. J’ai déjà eu ma dose…

— Accrochez-vous ! ordonna le faux Zinebiel, depuis son trône de Grand Capit’aile.

Le Domitia traversa, et Michaël se retrouva à terre, saisit de visions indéchiffrables. Une voix résonna au fond de son esprit.

Je renonce à la Justice, sur ma route vers la Divinité

Michael se releva quelques instants plus tard, la vision embrumée. Sur les écrans, un ciel bleu nuit s’afficha.

— Oh non… Nous sommes perdus… cru Michaël.

— C’est l’Astarté que tu vois, s’amusa le faux Zinebiel. Le fameux ciel de Guebourah.

Michaël battit des paupières, puis fixa intensément les écrans. L’Astarté était sombre. Sa fameuse couleur azur électrique transformé en un bleu roi, toujours gorgé d’énergie, mais voilé de ténèbres. Cependant, dans ce ciel nocturne brillaient d’innombrables étoiles, formant une marée de lumière dorée. Des étoiles brillantes, mais noires.

— La Flotte du Jugement, reconnu Michaël.

Cernant le portail de la Sévérité, la Flotte du Jugement, vaisseaux de la Milice de la Forteresse, montaient la garde. Autour d’énormes vaisseaux de commandement, les Singulars, d’innombrables petits pulsars braquaient leurs blasters luminiques droit sur les vaisseaux émergeant du portail, prêt à tirer sur n’importe quel intrus démoniaque. Bien que renseigné, Michaël ne put s’empêcher de contempler la Flotte bouche bée. Les vaisseaux de la flotte du Jugement étaient noirs, fait d’obsidienne, un cristal sombre réputé pour sa solidité, principalement utilisé à Guebourah et Binah. Il y en avait aussi à Hod, dans certains bâtiments, mais le jeune Fitzarch n’en avait jamais vu une telle quantité. La noirceur de la Flotte du Jugement était menaçante, implacable, ses puissances reconnues pour leur sévérité.

— Si els détectent la moindre trace de ténèbres dans le Domitia, els nous oblitèreront, s’amusa le Faux Zinebiel.

Sous la passerelle de la Flèche, les pilotes du Domitia lâchèrent leurs commandes alors que tous les systèmes du vaisseau étaient scannés par les forces guébouréennes.

— J’espère que vous avez vraiment éradiqué les démons du temps, siffla Michaël entre ses dents.

Le faux Zinebiel ricana. À ses côtés, Nana trépignait, nerveux. Les deux agents de Géhenna n’avaient de toute évidence pas la même assurance. De longues minutes passèrent, l’attente paralysant les élohim. Mais au final, rien ne se passa.

— Nous sommes toujours vivants, sourit le faux Zinebiel. Voyez, j’ai bien fait mon travail !

— Satanachia est fier de toi, soupira Nana.

— Bien ! s’exclama le faux Zinebiel en se levant. Nous allons pouvoir préparer notre arrivée à Madim ! Débarquement dans douze heures ! Michaël, viens par ici.

Le Fitzarch leva son regard vers le Grand Capit’aile. La mine fermée, el gravit les marches qui menaient à son trône.

— Michaël, sourit le faux Zinebiel. Nous allons atterrir au célestoport de Madim. Le command’aile Sparda a préparé un convoi spécial pour te mener à Olympus. Tu embarqueras sous sa protection. Nos deux millions d’élohim passagers te rejoindront plus tard. Leur débarquement prendra un certain temps.

— D’accord, dit Michaël, compréhensif. Mais il me faut partir avec Sasha et sa chorale.

— Els te rejoindront ensuite, dit Nana.

— Non. Je veux qu’els partent en même temps que moi. Avec moi, clarifia Michaël.

— Pourquoi faire ? soupira Nana.

— Pour que je m’assure que Sasha est libre de quitter ce maudit vaisseau, asséna Michaël, hostile.

— J’ai accepté sa démission, dit le faux Zinebiel, d’un sourire un peu forcé. El est libre de partir. Mais el doit le faire avec le reste des passagers. Sparda n’a pas prévu d’escorter une chorale entière jusqu’à Olympus.

— Demande à Sparda de modifier son plan pour le permettre, insista Michaël.

— Sparda n’a pas le temps pour ce genre de trivialité, s’agaça Nana. Et il est trop tard pour changer le plan de toute façon. Toi qui es spécialiste en logistique militaire, tu devrais le savoir.

— Justement. La chorale de Sasha n’est pas si grande. Je sais qu’il est possible de les embarquer avec moi.

— Michaël…

— Je l’exige.

— Tu ne devrais pas exiger quoi que ce soit des guebouréens.

Sasha venait d’entrer dans la salle, avertissant Michael.

— La principauté a raison, avertit le faux Zinebiel à son tour. Il faut être raisonnable, Michael. Fais-moi un peu confiance.

— Je veux parler à un vrai représentant de Guebourah, demanda Michael.

♂ Je suis Guebourah ! s’énerva le faux Zinebiel, son halo bleu flamboyant.

Michael recula, à la fois surprit et excédé. Nana tenta d’apaiser la situation.

— Écoute, tu peux emmener Sasha avec toi, mais juste Sasha. Tu peux l’embarquer et l’offrir comme cadeau de remerciement à Sparda si tu veux. Mais il n’y aura pas de place pour toute sa chorale…

— Je ne partirai pas sans ma chorale, exigea à son tour la principauté.

♂ Assez ! fit le faux Zinebiel. Je n’ai pas le temps pour ces caprices d’enfant !

Les yeux de la dominations s’injectèrent de sang rouge. Michael se détourna d’el, attrapa Sasha par le bras et l’entraîna sous la passerelle du Grand Capit’aile.

— Combien y a-t-il d’élohim dans ta chorale ? demanda le Fitzarch à son amant.

— Une centaine, répondit ce dernier dans un souffle anxieux.

— Une centaine, ricana Michaël. Et l’autre me fait une comédie pour ça ?

Nana descendit à son tour sur la passerelle. Michael lui lança un regard pressant.

— Madim est assiégé par les ténèbres, rappela l’agent de Géhenna. Y faire entrer quiconque est compliqué et prend des jours, voire des semaines pour aller jusqu’à Olympus.

— Je comprends pourquoi ce royaume est au bord de la destruction, ironisa Michael. Avec une logistique pareille…

— Nous passerons par le Reflet pour contourner les checkpoints, révéla alors Nana.

Michael recula, soupirant, son halo pulsant d’appréhension.

— Le Reflet ? demanda Sasha, s’adressant au Fitzarch. C’est une dimension parallèle, n’est-ce pas ? Tu m’en avais parlé. Est-ce comme les univers poches des ophanim ?

— Oui oui, c’est ça. Ce sont des tunnels secrets creusés dans l’espace-temps par les ophanim, déclara Nana.

C’était un mensonge, savait Michaël. Le Reflet était bien plus que ça, avait-el comprit en le visitant, juste avant son premier voyage dans le Domitia. Il contenait Kokab, la capitale de Hod, toute entière. Une copie parfaite, mais vide. Était-ce de même pour Madim ? Sasha perçu le trouble de Michaël, son propre halo s’atténuant sous la crainte.

— On ne peut pas déplacer une centaine d’élohim via le Reflet ? demanda Michaël.

— Non. Pas comme ça.

— Vous aviez un vaisseau entier dans cet endroit, rappela Michaël.

— Un vaisseau remplit d’initiés, Michael… Tu ne sais rien du Reflet. Laisse-nous gérer tout cela. Écoute-nous.

— Ne pouvons-nous pas emprunter la route officielle pour se rendre à Olympus ? s’agaça le Fitzarch.

— Tu désobéirais gravement à Sparda dès ton arrivée ici ? ricana Nana, masquant son propre frustration face à cette tête de mule de Fitzarch. N’es-tu pas là pour le servir ? Et par son intermédiaire, servir Guebourah ?

— Si vous me laissiez parler à Sparda… argua Michaël.

— Je ne pense pas qu’el accepterait ta demande, dit alors Sasha. Sparda a… une certaine réputation.

— Cette conversation tourne en rond, s’agaça Nana. Sasha. Soit tu pars seul avec Michaël. Soit tu pars plus tard avec ta chorale. Dans tous les cas, fais nous un peu confiance…

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